Du sentiment d’impuissance face à la crise COVID-19 ou dans nos métiers
« On se met encore un épisode de « En thérapie* »…
- Je sais pas, j’ai pas trop accroché avec les 2 premiers épisodes, il y a quelque chose qui me dérange…
- Ah bon ? Comme quoi ? Ce sont des personnages plutôt intéressants ! »
Et oui qu’est-ce qui me dérangeait dans ces 2 premiers épisodes…Parce qu’après tout, c’est quand même la série dont tout le monde parle en ce moment, pourquoi je n’arrivais pas à dépasser cette sensation de quelque chose de dérangeant.
Après quelques jours et quelques appels avec les copines, je comprenais…Il y avait en moi, quelque chose qui résonnait, comme un sentiment d’impuissance…Impuissance ? Impuissance par rapport à quoi ? Entre Ariane, jeune chirurgienne, qui après les attentats, s’est retrouvée en première ligne à l’hôpital ou Adel Chibane, policier à la BRI, qui est intervenu au Bataclan le soir du 13 novembre…
En tant qu’ex-humanitaire, cela résonnait encore en moi. Ce sentiment d’impuissance et des fois de résignation que je pouvais ressentir lors de mes missions, sur le terrain. Que malgré tout notre investissement, celui des équipes, celui de la population locale et autres belligérants, ce sentiment que malgré tout, les choses se jouent à un autre niveau, hors de portée et qui peut amener colère, frustrations, résignations et lassitudes…Ce qui m’a d’ailleurs amené, en partie, à quitter le secteur.
Comprendre le sentiment d’impuissance
Dans le Larousse, l’impuissance se définit comme le manque de pouvoir, de moyens pour faire quelque chose ou encore comme le manque de puissance, inefficacité, faiblesse ; l’ incapacité de faire quelque chose, d’agir, de peser sur le réel, de modifier ce qui nous entoure ou quelque chose en nous.
Ainsi on peut se sentir impuissant·e sur des situations/actes du quotidien ou d’autres qui sont dramatiques telle que la souffrance d’un proche, la misère du monde ou la crise actuelle liée à la COVID-19.
A long terme, face à ce sentiment répété d’impuissance surgit un état de résignation résultant de la perte du sentiment de contrôle sur les événements qui surviennent et qui l’affectent. Ce sentiment d’impuissance se traduit par une baisse de la concentration, inefficacité lors de la réalisation d’une tâche, renoncement à réaliser des choses y compris certains actes du quotidien. Plus l’individu est exposé de manière répétitive à cette privation de contrôle, plus ce sentiment s’installe ; engendrant à terme états dépressifs, perte de sens et de capacité, idées confuses et perte de confiance en soi…
"Tout accroissement de puissance est plaisir, tout sentiment de ne pouvoir résister, de ne pouvoir dominer est douleur." Nietzsche
L’impuissance est une expérience douloureuse, car elle bouscule nos propres valeurs et notre désir d’aider les autres, de lutter contre les injustices ou tout autre chose qui nous touche personnellement. C’est cette douleur qui souvent nous empêche de lâcher prise et nous amène à vouloir tout contrôler pour éviter de vivre cette souffrance, l’attente d’une solution idéale.
Enfin au niveau physiologique, l’impuissance génère du stress et diffuse dans le corps un taux de cortisol élevé, l’hormone du stress. Si ce niveau de cortisol reste élevé trop longtemps, alors les tensions physiques s’accumulent et le cycle infernal est lancé (troubles de la digestion, insomnies, troubles de la concentration, aggravation des douleurs physiques pouvant amener à l’immobilisation ou arrêts maladie…)
Accepter ce sentiment d’impuissance
Accepter ne veut pas dire se résigner, bien au contraire. Accepter c’est déjà une forme d’action et donc de reprise en main de la situation. Accepter c’est prendre le temps d’observer ce qui se passe en soi, examiner la situation à travers ses émotions, pensées et sensations réveillées par cette douleur, ce sentiment d’impuissance. A quoi cela me renvoie et pourquoi je me sens bousculé·e ? Quels sont mes idéaux qui sont mis à mal ? Qu’est-ce que je ne peux plus accepter dans cette situation ?
Accepter, c’est le premier pas vers la résilience. Cette force en nous qui nous permet de dépasser cet évènement douloureux, cette capacité à faire face à une situation difficile ou génératrice de stress ou selon Boris Cyrulnik « l’art de naviguer entre les torrents ».
Accepter c’est rester dans le moment présent en considérant les choses telles qu’elles sont ici et maintenant (et donc ne pas fuir la réalité) et réfléchir à des actions de plus basses ambitions tout en renonçant aux grandes solutions qui ne sont pas accessibles ou dans nos mains, car oui nous ne sommes pas tout-puissant.
Transformer ce sentiment d’impuissance
Engendrer des actions à portée de main, qui ne demandent pas un effort surhumain, y compris des activités du quotidien tels que ranger son salon, boucler un dossier pénible que l’on reportait depuis longtemps, s’inscrire et suivre une formation, se lancer dans le tricot…Des gestes qui peuvent sembler infimes et anodins mais qui redonnent, à notre échelle, un sens du contrôle de soi mais aussi pour retrouver au quotidien de la puissance et donc notre capacité à à peser sur le réel, à modifier ce qui nous entoure ou ce qui est en nous.
Additionnés les uns aux autres, ces actions permettent de diminuer la sensation d’être perdue et impuissant sur d’autres plans de notre vie. La peur ou la colère s’atténuent et nos capacités cognitives sont de nouveau mobilisées et stimulées.
Et vous, où en êtes-vous avec votre sentiment d’impuissance en ce moment ?
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- En thérapie. Série diffusée actuellement sur Arte : Au lendemain des attentats du 13 novembre, un psychanalyste reçoit cinq patients. À travers leurs séances, la série sonde les failles d’une société en état de choc.